Les plus grands travaux
de r�novation d'Europe
d�marrent cet �t� au palais du roi Stanislas, d�truit en
large partie par un incendie en 2003.
En Lorraine, la
Saint-Sylvestre avait �t� particuli�rement glac�e. Le lendemain, le vent s'�tait lev�, accentuant la sensation de froid. Aussi les Lun�villois s'�taient-ils tous calfeutr�s chez eux, ce 2
janvier 2003 au soir, quand ils virent, en quelques minutes, le ciel s'embra�ser curieusement. Puis ils entendirent les sir�nes des pompiers hurlant
dans la nuit d'hiver... �Le ch�teau br�le, le ch�teau br�le!�
Bravant
le blizzard, les habitants accoururent sur la place Stanislas, proposant
d'abord leurs services aux centaines de pompiers convergeant de tout le d�partement,
puis, bient�t, restant l�, mass�s les uns contre
les autres, impuissants et d�sol�s
face � l'ampleur du sinistre.
Toute
la nuit les pompiers lutt�rent, le vent d�cuplant la
force des flammes et retournant les jets d'eau de leurs lances
contre eux. Parti d'un court-circuit dans la chapelle, le feu s'�tait
propag� � toute la toiture de la partie sud-est
du ch�teau. En ravageant les combles, il avait provoqu� l'effondre�ment
des parties sup�rieures, d�trui�sant la chapelle, tous
les appartements
ducaux, les salons et les salles du mus�e.
� l'aube, il ne
restait que les murs. Le froid,
en gelant les tonnes d'eau d�ver�s�es sur les ruines, achevait les d�g�ts en quelques heures. Des
tableaux, des tapisseries, des boiseries, des lustres, les 8 000 documents de la biblioth�que militaire, dont une partie de la correspondance de Napol�on, l'apothi-cairerie, les momies
coptes, la
totalit�
de la
collection de fa�ences de Lun�ville et de Saint-Cl�ment, dont le c�l�bre Nain de StanislaSy �taient partis en fum�e. Derri�re les
barri�res de s�curit� instal�l�es � la h�te sur la place, une longue file de Lun�villois
commen�ait � se former. Au fil de la journ�e, les Fran�ais d�cou�vraient dans les journaux t�l�vis�s les images tragiques du
sinistre, les visages bl�mes des habitants et les larmes que le maire Michel Closse n'avait pu rete�nir devant la
cam�ra. Le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, un Lorrain, se pr�cipitait � Lun�ville avec une �motion non
feinte.
Alors, comme apr�s l'incendie du parlement de Rennes,
quelques ann�es plus t�t, comme apr�s celui de la Feni-ce, � Venise, un immense �lan de sympa�thie enfla dans le
pays tout entier. Les lettres arrivaient � la mairie par centai�nes, la plupart
accompagn�es d'un ch�que ou d'un billet. . . Le standard croulait sous les appels des �lus
locaux, des
d�put�s, des chefs d'entreprises de la r�gion, des �trangers. D�s le 6 f�vrier, une association �tait
cr��e :
Lun�ville,
ch�teau
des Lumi�res, pr�sid�e par monseigneur l'archiduc Otto de Habs�bourg-Lorraine.
Et les Lun�villois,
qui ne voyaient
m�me
plus ce vieux ch�teau un peu malmen�
par des g�n�rations de compagnies de dragons, chasseurs et autres
cavaliers, abandonn� en partie dans les ann�es 1960 aux services admi�nistratifs de la ville, se
mirent �
le regar�der,
et
m�me � l'aimer.
Ce ch�teau, on
allait le reconstruire.
Ce
"Versailles lorrain" serait le symbo�le de la renaissance de toute une r�gion meurtrie par la
crise �conomique.
Pour commencer, il
fallait lancer
les travaux d'urgence,
qui allaient
prendre six
mois : mettre en place une cl�ture tout autour de la partie sinistr�e, conso�lider les �l�ments
encore en place
pour pouvoir
travailler dans le chantier, d�blayer les gravats, au besoin � la pe�tite cuill�re,
pour essayer de retrouver -en vain - un pot ou une assiette de fa�ence intact,
sauver et stocker les quelques boiseries ou gypses pouvant �tre r�cup�r�s, r�aliser des coffrages en bois pour les
chemin�es �pargn�es et, surtout, poser un gigantesque parapluie m�tallique
au-dessus du ch�teau pour le prot�ger de la pluie.
Dans le m�me temps, dans le bureau de Pierre-Yves
Caillault, l'architecte en chef
des Monuments historiques responsable du
palais, � Paris, une dizaine de personnes commen�aient � se plonger dans les archives et � lancer les �tudes pr�liminaires. � Le plus important, explique Pierre-Yves
Caillault,
c'est de retrouver l'identit� du ch�teau. Nous ne sommes pas l� pour faire notre
publicit�. Nous sommes au service du monument. �
L'identit� du ch�teau? Celle de l'�poque des
Lumi�res bien
s�r, quand Stanislas Leszczynski y fumait la pipe en �crivant � sa fille, la reine de Fran�ce, et que madame du Ch�telet se promenait dans le parc. Que la vie �tait douce � Lun�ville au XVIIIe
si�cle
! � On
ne croyait presque pas avoir chan�g� de lieu quand on
passait de Versailles � Lun�ville, �crivit Voltaire. [... ] C'est un ch�teau enchant�
dont le ma�tre fait les honneurs. ..On va tous les jours d'un palais � un
kiosque ou d'un palais � une cabaney et partout des f�tes et de la libert�. �
Du d�but du XVIIe si�cle,
jusqu'en 1766, Lun�ville fut en effet la r�sidence des ducs de Lorraine. En 1702, les
trou- pes de Louis XIV
sont � Nancy. L�opold Ier, duc de
Lorraine, part s'ins�taller �
Lun�ville et confie la construc�tion
d'un ch�teau, le plus vaste de Test de
la France � l'architecte Germain Boffrand.
Quelques ann�es apr�s la mort de
L�opold Ier, Louis XV nomme son
beau-p�re, le roi d�tr�n� de Polo�gne
Stanislas Leszczynski, duc de Lorrai�ne
et de Bar. Celui-ci, s'il n'a pas de r�el pouvoir politique, fait toutefois de Lun�ville une cour brillante, y attirant des philosophes et des artistes, des fa�en�ciers, des brodeuses et d'autres artisans, multipliant les bosquets et les
"folies" dans les jardins, devenus des lieux de f�tes permanentes. � la mort de Stanis�las en 1766, la Lorraine est rattach�e � la France.
En 1824, Louis de Hohenlohe cr�e un camp de
cavalerie � Lun�ville, qui devient vite le premier centre
d'en�tra�nement militaire de France et vaut � la ville son nouveau surnom de cit� cavali�re.
Aujourd'hui, la cavalerie est partie, mais le minist�re
de la D�fense est toujours propri�taire de 60 % du ch�teau.
Le reste appartient depuis le 1er
janvier 2000 au conseil g�n�ral de Meurthe-et-Moselle.
� Ce jour-l�, raconte volontiers le pr�sident du conseil g�n�ral Michel Dinet, le maire de
Lun�ville nous a c�d� pour un euro
symbolique, le ch�teau, trop lourd pour une
commune de 20000 habitants. J'ignorais que, trois ans plus tard exac�tement, Lun�ville
allait nous co�ter 103 millions d'euros! �
Pass�s les premiers mois indispensables pour mettre les lieux en s�curit�, une premi�re phase de
travaux a d�j� �t� men�e � bien. Le grand vestibule, qui sert de passage dans le corps
central du ch�teau, a �t� enti�rement r�nov�, le
sol repav�, toutes les marches soigneusement d�pos�es
et, au besoin, chang�es. Dans les murs, les pierres d�fectueuses ont �t� d�truites au marteau-piqueur puis remplac�es
selon la technique du refouillement. Les arti�sans ont
�tal� 10 tonnes de pl�tre � la force des bras sur les 240
m�tres carr�s du plafond. Un badigeon, dont la couleur
a �t� difficile � trouver, a �t� appliqu�
sur tout le vestibule, � la fois pour
unifier les pierres anciennes et r�centes
et pour le prot�ger des intem�p�ries.
Il reste un seul probl�me : les pigeons, qui ont �lu domicile dans le ch�teau
- ainsi que les chats ! - et souillent la
pierre.
Les
tailleurs se sont eux attel�s � la reconstruction de
l'escalier d'honneur sud, d�truit par le feu : les
marches, le dallage, le garde-corps et la main courante
ont �t� refaits � l'identique. Les huisseries
sont restaur�es mais ne pourront �tre
repos�es que lorsque la fa�ade sera reconstruite.
9,5 millions d'euros ont d�j� �t� en�gloutis,
financ�s par l'�tat, la r�gion, les
dons (environ 900000 euros)... et
les assu�rances qui prennent en charge les travaux � hauteur de 26,3 millions d'euros. Dans les deux prochaines ann�es, 7,8 millions d'euros vont �tre d�pens�s pour restaurer les fa�ades, reconstruire une charpente comme au XVIIIe si�cle et retrouver
les 3100 m�tres carr�s de toiture disparus. Puis on s'attellera � la chapelle... Tous les corps de m�tiers sont mobilis�s.Ma�ons, charpentiers, tailleurs de pier�re, menuisiers, serruriers, peintres,doreurs, sp�cialistes du vitrail... vont faire revivre le ch�teau du roi Stanislas, qui devient le plus grand chantier de
restauration du patrimoine en Europe.
En attendant que ressuscitent les jardins
et le mus�e, et que le TGV conduise
en Lorraine les visiteurs par milliers.
sophie humann
Paru dans Valeurs Actuelles n� 3688 du 3 Ao�t 2007